lundi 28 septembre 2009

Qui a tué Georges Mandel ?


De : Critiques livres







Aux sources d'un crimeFrançois Delpla se définit lui même comme un historien du nazisme, et particulièrement de la personnalité d'Adolf Hitler. Il déroge pourtant quelque peu à ses marottes pour s'intéresser à un crime politique de la fin du conflit : l'assassinat de Georges Mandel en juillet 1944.



Rappelons d’abord que Georges Mandel, de son vrai nom Louis Rotschild, était sans lien avec la famille de banquiers. Homme politique, d'origine juive, il s’engage très tôt dans le combat pour Dreyfus. A l'occasion d'une collaboration comme rédacteur à l'Aurore au moment de la réhabilitation du capitaine en 1906, Mandel y rencontre Clemenceau et devient son bras droit jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.Personnalité de droite emblématique de la IIIe République de l'entre-deux guerres, il prône une alliance avec l'URSS pour faire face à la menace nazie et proteste violemment contre le réarmement allemand et les accords de Munich de 1938.Pendant la Campagne de France, il est partisan d'un "réduit breton", résolument contre un armistice. Il choisit de partir en Afrique du Nord plutôt qu’en Angleterre à bord du Massilia avec une trentaine d’autres députés pour tenter un coup de force. Ce sera le grief principal porté par les Nazis à Mandel, outre sa judéité, jusqu'en 1944 et son assassinat.Arrêté au Maroc le 8 août 1940, classé comme belliciste avec Léon Blum et Paul Reynaud, Mandel passe toute la guerre de prison en geôles diverses, remis aux Allemands, puis livré aux Français en 1944.L'histoire officielle veut que la gestapo ait finalement remis Georges Mandel entre les mains de Vichy, et qu'il ait été exécuté par la Milice de Darnant le 9 juillet 1944, en représailles de l'assassinat de Philippe Henriot le 28 juin précédent à Paris par la Résistance.








L.A. Noir
de Tom Epperson
Editeur : Le Cherche Midi
Parution : 10/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Mafieux impitoyables, jolies pépées, bandits au grand coeur, histoire d'amour impossible, crimes sanglants sur fond de cavales de Bonnie & Clyde : Tom Epperson forge son roman en forme de déclaration d'amour au genre noir, exaltant cette ambiance années 1930 chère aux vieux polars. L'éditeur français, en optant pour cet étrange titre abscons mais évocateur, insiste même lourdement sur la filiation revendiquée de ce 'L.A. Noir' envers les grands films hollywoodiens ou les récits fondateurs du noir. Mais tandis que l'on espère une réappropriation moderne ou parodique de cet univers ultra-classique, Tom Epperson reste cloîtré dans les codes du genre. Et même si le roman se lit d'abord avec plaisir, les clichés tendent à l'alourdir. L'idée du gangster tombant amoureux de la femme du patron qu'il est censé surveiller a déjà été (sur)exploitée dans une flopée d'intrigues ; les quelques originalités de la trame, comme l'amnésie du héros, s'avèrent quant à elles sous-exploitées. Sans jamais agacer, sans vraiment lasser tant la lecture est aisée, 'L.A. Noir' ne parvient pourtant jamais à trouver une vraie épaisseur : les personnages manquent de caractère à force de ne jamais s'émanciper des figures traditionnelles du genre, et même le décor soigné finit par manquer d'âme, tant il apparaît comme la recréation artificielle et forcée d'un imitateur certes doué, mais sans style propre. D'ailleurs l'écriture souffre de la même tiédeur, la patte de l'auteur n'émergeant que très rarement, dans des scènes secondaires souvent plus réussies que celles qui forment l'intrigue principale. Un roman loin d'être déplaisant, mais qui manque cruellement de saveur.
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Les Manuscrits de la mer Morte
Nouvelle édition actualisée
de Farah Mébarki et Emile Puech
Editeur : Rouergue
Parution : 16/9/2009
La critique EVENE par Thomas Chouanière :On savait inestimable la valeur des manuscrits bibliques mis au jour dans onze grottes à proximité de Qumrân, non loin des rives de la mer Morte dans les années 1940-1950. A l’heure où ceux-ci peuvent être intégralement consultés en traduction anglaise aux Oxford University Press, les éditions du Rouergue réactualisent l’ouvrage d’Emile Puech et Farah Mébarki, documentaire précis permettant au profane d’évaluer l’incroyable découverte de ces volumes calligraphiés voilà plus de deux mille ans. Longtemps les supputations donnaient à croire que ces rouleaux déterrés remettaient en cause les fondements exégétiques du christianisme et bouleversaient fondamentalement l’héritage livresque des religions monothéistes. Les perspectives de l’ouvrage infirment cette légende : sous l’angle historique, elles permettent de comprendre la généalogie des Esséniens parmi les autres familles du judaïsme. Les différents chapitres font état des aspects pieux de cette communauté, de leur artisanat et de leur rapport avec deux figures majeures du christianisme : Jean-Baptiste et Jésus. Une contextualisation qui permet de mieux comprendre la présence d’une telle prodigalité de textes bibliques antiques en un même endroit. Les multiples planches d’illustrations induisent une compréhension plus concrète des nombreuses techniques utilisées, et de la minutie dont se dote l’archéologie face à des objets d’étude aussi fragiles et importants scientifiquement. Sans tomber dans l’herméneutique austère, l’ouvrage rappelle combien les choix opérés par les différents cultes en matière de canon livresque ont façonné le visage des religions monothéistes et influencé juifs et chrétiens dans leur recherche mystique. Rapport riche et passionnant, 'Les Manuscrits de la mer Morte' ôte le mystère pour mieux célébrer le savoir.
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Ordalie
de Cécile Ladjali
Editeur : Actes Sud
Parution : 19/8/2009
La critique EVENE par Elie Guedj :“Scandaleux” est un vilain mot. Il est pourtant le seul à pouvoir exprimer le trouble jeté sur l’intégrité des sélections des grands prix littéraires. Déconcertant, ni le Goncourt ni même le Femina n’ont retenu l’‘Ordalie’ de Cécile Ladjali. Et pourtant, depuis longtemps la rentrée littéraire n’a pas proposé un tel joyau. Ami des classiques comme des modernes, du style comme de l’idée, de l’énonciation câline et de l’érudition sage, ce roman, grâce à la délicieuse excuse de l’histoire et des oeuvres d’Ingeborg Bachmann et Paul Celan, offre une réflexion romancée sur la poésie et la vie. Et rarement hommage à la littérature fut aussi sincère, profond, intense et abouti. D’une écriture difficile mais envoûtante, l’élève de Georges Steiner distille ses principes : refus de céder aux facilités de la vulgarisation, éloge de la grande littérature et de la complexité des sentiments, apologie d’une écriture soignée. ‘Ordalie’ ne se donne pas avec complaisance, mais vous accueille avec la complicité de l’effort. La psyché devient également une instance plus apte à dégager des essences qu’à faire pleurer dans les chaumières. C’est alors une rencontre épaisse et savoureuse pour le lecteur, croisant une multitude de personnages conceptuels, de lieux singuliers et de précieuses pensées définissant l’existence comme une oeuvre d’art et l’oeuvre d’art comme affirmation exaltée de l’existence. Le tout embaumé d’une esthétique post-romantique - l’angoisse et le dandysme pour Lenz, les atermoiements amoureux de Ilse -, sur fond de tragédie historique. Un roman authentique, puissant, absolu qui mérite, non pas la facticité éphémère d’un prix littéraire, mais la reconnaissance unanime menant à une légitime notoriété.
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J'ai le cerveau sens dessus dessous
de David Heatley
Editeur : Delcourt
Parution : 9/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Admiré par Daniel Clowes et Chris Ware - excusez du peu… -, David Heatley est présenté comme le grand espoir de la bande dessinée américaine. Et de fait, 'J'ai le cerveau sens dessus dessous' dévoile toute la créativité et la singularité de son univers. De Chris Ware, on retrouve le soin porté à l'objet livre, cette frénésie qui le pousse à remplir ses pages de dessins et de ne pas laisser un seul espace blanc (n'oubliez pas d'aller voir sous la couverture). Un certain sens de l'exhaustivité aussi, qui le pousse à analyser ses amis, sa famille ou ses sentiments, envies, pulsions sous la forme de descriptions saugrenues ou terre-à-terre. De Daniel Clowes, Heatley a hérité cette sensibilité et cette facilité à trouver dans l'autofiction un ton universel qui rend la lecture rapidement envoûtante, et le lecteur addictif. Mais ces prestigieuses influences, auxquelles il faudrait aussi ajouter Crumb, Pekar ou Kochalka, ne suffisent pas à résumer le travail d'Heatley : lui pousse l'autofiction dans des retranchements nouveaux, osant par exemple aborder la sexualité enfantine. D'abord surprenant, voire gênant, ce ton débridé trouve rapidement un écho chez celui qui le lit : sa sincérité ne sombre jamais dans la vulgarité et l'impudeur, et l'album finit par prendre une amplitude étonnante, à dégager des émotions complexes, sans doute jamais abordées dans la bande dessinée. Sous ses apparences très brutes, le dessin cache en réalité une grande maîtrise de la narration dessinée ; la mise en page comme le découpage des récits, oscillant entre des pastilles extrêmement brèves et des histoires copieuses, ne laisse rien au hasard. Certains chapitres, comme celui sur la "race", consacré à tous les Noirs que l'auteur-narrateur a rencontrés dans sa vie, s'avèrent passionnants, et évoquent de manière profonde, intelligente et très novatrice les racismes culturels et irrationnels des Blancs. Un premier album en forme de manifeste d'un talent dont on attend désormais beaucoup.
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La Guitare de Bo Diddley
de Jean-Christophe Chauzy et Marc Villard
Editeur : Casterman
Parution : 23/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Parce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, Marc Villard a décidé de s'occuper personnellement de l'adaptation BD de son roman 'La Guitare de Bo Diddley'. Et pour être certain d'être bien entouré, il s'est acoquiné avec Chauzy, dessinateur qu'il a déjà côtoyé, notamment lors de la réalisation de 'Rouge est ma couleur'. Logiquement, le résultat est plus que convaincant : Villard connaît désormais parfaitement les ficelles du 9e art, et l'entente entre le scénariste et son dessinateur est parfaite. Cette harmonie resurgit dans l'équilibre parfait qui régit l'album. Fluide, limpide, prenante, l'intrigue se lit avec un vrai bonheur, sur les traces d'une légendaire guitare qui passe de main en main. Reprenant une ficelle scénaristique connue, Villard l'utilise avec légèreté et spontanéité, soutenu en cela par le trait souple et félin de Chauzy. L'intrigue semble vivre d'elle-même, basculant selon les personnages qu'elle croise, bifurquant à chaque rencontre, comme si elle ne suivait pas de ligne prédéfinie, avant de retomber sur ses pattes. L'occasion pour les auteurs de nous faire découvrir un Paris interlope, de la Chapelle à Marx-Dormoy, de Château-Rouge à Barbès, dans les entrailles viciées d'une cité qui semble broyer ses habitants. Drogue, violence, prostitution, arnaque, corruption, meurtre : la malchance semble suivre la belle guitare bleue, dont l'aura magnétique contamine peu à peu les pages de l'ouvrage. Un récit d'une grande ironie, parfois cruel, mais qui sait faire preuve d'une vraie tendresse envers ses personnages. Et une nouvelle adaptation réussie pour la collection Rivages/Casterman.
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Che
d'Hector Oesterheld, Alberto Breccia et Enrique Breccia
Editeur : Delcourt
Parution : 9/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Ouvrage censuré pendant la dictature argentine, album mythique du scénariste Hector Oesterheld, qui sera assassiné quelques années plus tard par la junte militaire, 'Che' arrive précédé d'une aura légendaire. Et dès les premières images, d'une puissance étonnante, 'Che' prouve qu'il n'a rien perdu de son magnétisme, quarante ans après sa première parution à Buenos Aires. Le dessin des Breccia père et fils, Alberto et Enrique, frappe par sa force bouleversante. La bichromie contrastée à l'excès crée des jeux d'ombres d'une pureté distinguée, combat acharné entre un blanc immaculé et un noir impénétrable - que le papier de mauvaise qualité a d'ailleurs bien du mal à contenir. A la fois détachés et nerveux, les graphismes tendent vers une atmosphère qui hésite entre l'hyperréalisme du trait des Breccia et cet expressionnisme terrifiant, qui donne aux combats et aux marches dans la forêt des allures infernales. Sur cette esthétique hypnotique, Oesterheld monte un récit binaire, alternant entre les derniers moments du Che et des épisodes de sa vie, traités de manière allusive. De ces souvenirs épars, le scénariste argentin tire un portrait bien sûr laudatif, ouvertement partisan sans que cela nuise à la subtilité du récit, étonnamment très sombre malgré son ambition militante. L'écriture hachée accole les propositions disparates, enchaîne les phrases nominales avec une urgence palpable, et ébauche une réflexion poussée sur l'engagement du Che. Un album habité, qui n'a pas usurpé sa légende.
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Tipping point
Téhéran 1979
d'Hamed Eshrat
Editeur : Sarbacane
Parution : 2/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Pas facile de réaliser une bande dessinée sur l'Iran après Marjane Satrapi, surtout en présentant une approche esthétique et narrative si voisine de celle de l'auteur de 'Persépolis'. Hamed Eshrat l'apprend à ses dépens, son 'Tipping Point' ne parvenant pas à donner une autre impression que celle de lire du Satrapi en moins bien. Le Berlinois d'origine iranienne ne semble pas maîtriser complètement son support et, au-delà des quelques approximations graphiques excusables pour un premier album, ne trouve pas toujours le bon équilibre entre texte et image. Ses illustrations sont parfois redondantes par rapport au texte, et certains passages cèdent à la facilité en se contentant de décrire des épisodes sans réellement les mettre en scène ou faire vraiment de la bande dessinée. Hamed Eshrat n'utilise pas à fond tout le potentiel de l'écriture BD, ce qui est sans doute à l'origine, en partie au moins, de la difficulté que ressent le lecteur à s'impliquer complètement dans le récit, qui manque cruellement de tension. Les personnages en pâtissent, le ton manque de caractère. Seul le point de vue différent sur la révolution iranienne, favorable au Shah puisque le père de l'auteur était un agent au service du pouvoir en place, confère à cet album un intérêt historique.
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Led Zeppelin
de François Ducray
Editeur : Castor Astral
Parution : 17/9/2009
La critique EVENE par Julien Demets :En un livre, François Ducray réconcilie Led Zeppelin avec la concision. Moins de 130 pages lui suffisent pour raconter douze ans de carrière, et même plus puisqu’il s’attarde sur les travaux antérieurs de Jimmy Page ; ce "prologue" constitue d’ailleurs l’une des valeurs ajoutées de l’ouvrage. Relativement court, donc, le récit contient pourtant son lot d’anecdotes graveleuses et de détails sur la personnalité des musiciens, l’auteur ayant simplement choisi, à raison, de ne pas se lancer dans une interprétation maniaque des textes, ni de prendre trop au sérieux l’intérêt de Jimmy Page pour l’occultisme. Autre bonne idée, la discographie détaillée du quatuor et de ses membres est rejetée en fin d’ouvrage, ne laissant au récit que les hommes, leur histoire et quantité de citations (jamais sourcées, hélas). Visiblement fan du "dirigeable", François Ducray sait néanmoins se montrer critique : sa remarque sur la pochette ratée de ‘Presence’ sonne aussi juste que le bilan qu’il tire des reformations en général et de celle(s) de Led Zeppelin en particulier. En revanche, il se perd en métaphores grandiloquentes à la moindre évocation des concerts du quatuor, le nombre de lasers déployés sur scène faisant à ses yeux office d’argument artistique. Dommage qu’il omette de préciser que l’hostilité de certains critiques (et des punks) à l’égard du groupe se nourrissait justement de cette démesure. Les rivaux Deep Purple ou Black Sabbath ne sont quant à eux mentionnés qu’une fois, de façon assez méprisante, l’auteur imposant d’emblée Robert Plant et sa bande dans la catégorie supérieure, celle des Rolling Stones. Un choix acceptable, s’il ne masquait une partie du contexte de l’époque. Les non-initiés préféreront donc à ce ‘Led Zeppelin’ une biographie peut-être moins stylée, plus scolaire, mais plus propice à la découverte du groupe.
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Anthologie American Splendor
Volume 1
d'Harvey Pekar, Robert Crumb, Gary Dumm, Gerry Shamray, Greg Budgett et Kevin Brown
Editeur : Cà et là
Parution : 26/9/2009
La critique EVENE par Mikaël Demets :Louons les éditions Cà et là d'avoir enfin permis de découvrir en français un pan majeur de l'histoire du neuvième art à travers le premier volume de cette anthologie de l'oeuvre de Harvey Pekar. Recueil soigneusement compilé d'histoires réalisées entre 1976 à 1982, 'American Splendor' retrace l'émergence d'une nouvelle bande dessinée, rien que ça. Ayant parfaitement digéré l'underground des années 1960 de Crumb et compagnie, et l'approche nouvelle de l'autofiction qui en découle, Harvey Pekar parvient à pousser encore plus loin les possibilités de son support, et entraîne la bande dessinée dans un registre intime et intellectuel poussé – "intellectuel" n'était pas incompatible avec "drôle" ou "facile d'accès", bien au contraire. Au beau milieu d'une Cleveland dévastée par la crise, il raconte ses difficultés quotidiennes : précarité économique, misère sexuelle, névroses ordinaires, frustration intellectuelle et confusion sociale forment le socle de récits qui, décrits ainsi, pourraient paraître narcissiques et désespérés. Mais Harvey Pekar décrit cette ironique "splendeur américaine" avec un sens de l'universel évident, doublé d'une fine pointe d'humour. Pour ne rien gâcher, son écriture remarquable sert parfaitement le propos. D'autant que le scénariste a su s'entourer de dessinateurs tout aussi talentueux : de Gary Dumm à Robert Crumb, son vieil ami qui lui a transmis l'amour de la bande dessinée, en passant par le trait magnifique de Gerry Shamray, chaque artiste apporte une sensibilité nouvelle aux mots de Pekar. Et tous parviennent habilement à mettre en scène un texte pourtant extrêmement difficile à illustrer, puisque principalement composé de monologues intérieurs ou de longs dialogues inspirés. Au final, 'American Splendor' esquisse un portrait émouvant et inquiétant de la solitude qui menace l'homme moderne, et se place comme une oeuvre fondatrice de la bande dessinée contemporaine.
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Les Veilleurs
de Vincent Message
Editeur : Seuil
Parution : 20/8/2009
La critique EVENE par Aurélie Mongour :"A entendre la très bonne parole, il faut que je sois fou." La première phrase du roman de Vincent Message semble tout droit sortie d'une nouvelle de Maupassant. Et de fait, Nexus, son personnage, est un Horla moderne, incapable de réaliser son crime et prisonnier d'une chimère. Victime d'une société qui offre pour seule perspective une existence étriquée, cet inadapté a décidé de se réfugier dans le sommeil et d'être, non un "doux rêveur", mais un rêveur acharné parti chercher dans l'en-deçà de la conscience un pays à son goût. C'est cette lente recréation d'un monde parallèle que l'homme raconte à deux veilleurs, un psychanalyste génial et un flic fatigué, chargés de comprendre son geste. Jamais piégé par la complexité d'un récit aux nombreuses mises en abyme, Vincent Message a l'ambition insolente de brasser les genres, du polar à la science-fiction. Il y réussit plutôt bien. Enchâssés, les récits se rassemblent sous la bannière de la liberté qu'offre le monde du songe face au monde empirique. Egalement débridé dans son style, le jeune auteur parsème son texte de néologismes et de noms aux étymologies fabuleuses. De cette liberté narrative faussement désinvolte, naissent quelques passages savoureux et de belles fulgurances poétiques. Message excelle à saisir la grâce des femmes qui deviennent tour à tour déesses grecques, nymphes des eaux calmes ou fantômes aux yeux mélancoliques. C’est du côté des hommes qu’il situe le conflit, s’interrogeant en filigrane sur les frontières entre veille et surveillance dans une société du tout-sécuritaire. Comme un miroir tendu à notre époque par un écrivain qui s’autorise à rêver.
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Deux scènes
Et notes conjointes
de Yves Bonnefoy
Editeur : Galilée
Parution : 10/9/2009
La critique EVENE par Alexandre Prouvèze :‘Deux scènes’ est le récit poétique - "écrit les yeux en somme fermés" - d’un voyageur, à "Turin peut-être ou Gênes", fantasmant la vie des occupants de deux balcons sur la base d’intuitions intimes. Les "notes conjointes" à ce poème de quelques pages visent à en élucider les motifs, en révéler la mécanique, consciente ou non. Irréductibles au commentaire, ces réflexions livrent avant tout une mise au point sur l’état d’esprit particulier qui préside à l’écriture poétique, les jeux de la conscience auxquels elle invite. Relisant son récit, Bonnefoy y reconnaît ainsi des réminiscences de Rimbaud (le poème ‘Royauté’), ou divers fragments d’autobiographie enfouie. Plus profondément, la complémentarité du poème et de ces essais affirme la poésie comme pensée nomade et associative, dont le rapport ambivalent au langage traduit un questionnement incessant de la mémoire et de l’inconscient, de l’auteur comme du lecteur. Aussi contemplative et dense qu’un plan d’Antonioni, on suit donc avec un certain ravissement cette parole errante, où se joue, hors de tout formalisme, l’exercice souverain et sans projet d’une conscience arpentant ses labyrinthes avec calme. Et l’élégante ampleur qui caractérise la poésie de Bonnefoy, jamais héroïque ou tape-à-l’oeil. Rêve éveillé sans onirisme lourd, chaque texte s’offre comme une noble coulée de l’esprit, naturellement sinueuse, entre ce qui constitue l’identité (c’est-à-dire une mémoire) et les sollicitations des sens qui la troublent, la renvoient de fait à son incertitude. Surtout, à travers ses méditations, Bonnefoy rappelle ce que l’écriture poétique doit à la sphère de l’intime, envisagée comme champ d’expérience d’une sortie de soi, de fusion désintéressée avec le monde - aux antipodes du ressassement amer, paranoïaque, auquel de désolantes mentalités de confessionnal tendent à la réduire parfois.
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Netherland
de Joseph O’Neill
Editeur : L’Olivier
Parution : 27/8/2009
La critique EVENE par Charlotte Devai :Hans est un analyste financier au bord de la crise de nerfs. ‘Netherland’ retrace la trouble parenthèse new-yorkaise de son existence pour mieux laisser planer "l’ombre des tours mortes". Si ce roman est bien un rejeton de la littérature "post 09/11", il y fait office de mouton noir. Parce qu’il ne s’est pas précipité - il lui aura fallu sept années pour accoucher de ‘Netherland’ -, Joseph O’Neill a forgé une oeuvre aboutie. Le 11 Septembre y apparaît sous les traits d’une longue métaphore filée : il révèle une fêlure, celle d’un couple, d’un individu et d’une nation. C’est que la présence des attentas demeure silencieuse, comme s’ils dessinaient les fondations invisibles du roman. Avant tout, ‘Netherland’ sonde la solitude de l’étranger - Hans n’est pas né sur ce sol, mais à La Haye. Abandonné par sa femme, il trouve une famille de substitution auprès de ses partenaires de cricket. Indiens, Pakistanais : pas le moindre autochtone sur le terrain ; tous sont liés par le jeu et leurs statuts de métèques. Par ce singulier truchement, l’auteur semble désigner l’aveuglement comme mal typiquement américain. Et le cricket, que les batteurs émigrés échouent à imposer dans la métropole, constitue un élément d’incompréhension pour les New-Yorkais. Hans au contraire fait plein usage de ses yeux, il dévisage la ville jusqu’à s’abîmer dans une contemplation proche du songe. Longues et élégantes, les phrases qui se déroulent témoignent de ce sens suraigu de l’observation. Et la langue classique d’O’Neill dévoile son intérêt pour les marginaux, comme Chuck, ce personnage borderline, rêveur énigmatique qui rappelle Gatsby le magnifique. Or ce roman fait ses adieux à celui de Fitzgerald, car l’Amérique dont il parle n’est plus cette terre de tous les possibles. ‘Netherland’ signe la fin d’une époque, celle qui voyait encore les tours jumelles se dresser dans le ciel.
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L’Encyclopédie de la couture
de Collectif
Editeur : Flammarion
Parution : 9/9/2009
La critique EVENE par Sophie Lebeuf :Mesurer un patron, tailler, monter un col plat… Ces termes restent imprécis à vos yeux ? ‘L’Encyclopédie de la couture’ réponds à vos interrogations. Avec ses 2.500 photographies qui suivent pas à pas les explications des techniques de broderies les plus variées, points de croix, plis et surpiqûres n’auront plus de secrets pour vous. Si ce manuel traite de l’art de la couture dans son ensemble - de la reprise d’un ourlet à l’élaboration de robes à smocks, en passant par la création de sac en toile de jute, cravate et kimono - il s’adresse néanmoins davantage à des passionnés ou des novices motivés qu’aux indifférents en quête d’apprentissage pour les coups durs et les basiques. Tout simplement parce que la quantité de pages, d’explications et de techniques, plus ou moins ardues, auraient tôt fait d’effrayer les plus timorés. On peut également reprocher à l’auteur - Alison Smith - le choix de présentation très ‘‘rose bonbon’’, faisant indubitablement penser aux ouvrages de bonnes maîtresses de maisons d’antan. Un aspect regrettable, qui allie une fois de plus et de manière réductrice la couture aux femmes.
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